mardi 23 juin 2009

La France: l'histoire d'une monarchie qui s'ignore

Fanfare et paillettes, le Président de la République française vient d'achever en grandes pompes son triomphe romain, comme le souligne Libération.fr.

L'analogie me semble loin d'être impertinente. Incomplète toutefois.

Nicolas Sarkozy s'exprimant devant le Congrès à Versailles: difficile de ne pas y voir des allures de Jules César souhaitant s'imposer face au Sénat au retour de la campagne des Gaules. Notez un instant l'imprécision de la page Wikipédia qui parle de "Conquête des Gaules" lorsque c'est précisément ce point qui a nourri de fortes tensions en 51 av.JC . Conquête ou campagne? L'ager romanus, le territoire de la République s'est-il étendu à l'occasion des batailles livrées?
D'aucuns considéraient alors la Gaule comme territoire romain lorsque d'autres soulignaient au contraire que la guerre remportée par le Proconsul Jules César était l'événement, le fait générateur comme les juristes disent, qui assit définitivement la domination romaine sur les gaulois.

Ces fortes tensions étaient loin d'être des discussions de forme, chacun connaissant l'enjeu du triomphe romain. Le Sénat voyait en ce Jules César, auréolé de ses victoires récentes, une grande menace pour la République dont les institutions déjà usées par le temps résisteraient difficilement à une figure aussi populaire, à la fois héros du peuple et icône de l'armée. Or, Jules César cachait peu son ambition de prendre le pouvoir aux élites corrompues de Rome afin de le restaurer en faveur du peuple. Un Robin des Bois avant l'heure en somme.

Ainsi, le triomphe romain était le symbole donné au peuple d'une légitimité consacrée et incontestée d'un meneur, d'un Sénat soumis devant la toute-puissance d'un héros du peuple.

C'est ici que l'analogie prend tout son sens.

Si Nicolas Sarkozy ne jouit pas d'une légitimité historique, comme le Général de Gaulle au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, celui-ci se fonde sur la légitimité populaire qu'apporte le suffrage universel direct. Dès lors, l'image donnée urbi et orbi, n'est pas celui du chef de l'exécutif s'exprimant devant les représentants du pouvoir législatif, mais celui d'un leader qui veut faire prévaloir sa légitimité sur toute forme de contre-pouvoir.

Cette manoeuvre est loin d'être anodine et bien qu'elle nous ait été vendue par certains comme l'évolution naturelle d'un régime présidentialiste, il n'en est rien.

L'héritage des philosophes des Lumières, inspirateurs de la Révolution Française, fondateurs de l'ère moderne institutionnel, reposait notamment sur une théorie si chère à Locke et Montesquieu: la séparation des pouvoirs. Quel que soit le régime adopté à travers le monde, ce principe fondamental a été brandi afin de protéger nos sociétés des dérives totalitaires et monarchiques: éviter les collusions, les connivences ainsi que la concentration des pouvoirs qui désservent nécessairement l'intérêt général.

Certaines nations, comme la France ont transposé ces principes de manière relativement peu franche. D'autres comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, ont eux, farouchement et scrupuleusement implémenté ces garde-fous.

C'est ainsi que plus de 250 ans d'évolution, confortés par plus de 2000 ans d'Histoire, nous ont appris que le chef de l'exécutif devait rester responsable devant le Parlement. Les fondateurs de la Ve République avaient composé avec cet impératif en instituant un pouvoir exécutif bicéphal, le chef du gouvernement, responsable devant les représentants du peuple, et le chef de l'Etat, dont seule la responsabilité pénale pour haute trahison peut-être engagée. Nulle motion de censure, nul impeachment, nulle atteinte politique ne sauraient être mis en jeu. Ce pourquoi les Présidents successifs depuis 1958 ont toujours respecté avec plus ou moins d'ardeur cet héritage républicain.

Le passage au quinquennat conjugué au changement du calendrier électoral, la disparition des périodes de cohabitation, la possibilité pour le Président de s'exprimer devant le Parlement sans qu'aucune réponse ne puisse lui être apportée, sont autant d'éléments qui ont provoqué le glissement d'un régime sui generis, que d'aucuns qualifient de présidentialiste, vers un régime présidentiel mais privé des gardes-fous démocratiques.

Ainsi, un régime présidentiel où le chef de l'Etat n'est responsable ni politiquement, ni pénalement n'est plus un régime démocratique. Ajoutons à cela la concentration des pouvoirs constitutionnels (législatif, exécutif et judiciaire) ainsi que les autres formes de pouvoir (financier et médiatique) aux mains d'un réseau incarné par le Président de la République, le régime devient de fait une monarchie élective. N'en déplaise à Nicolas Sarkozy, une monarchie n'est pas nécessairement héréditaire.

Dès lors, lorsque le Président de la République bafoue une tradition inscrite dans le marbre depuis 1875, année où la monarchie a définitivement disparu des institutions françaises, celui-ci inflige bien un dangereux camouflet aux principes essentiels de la démocratie républicaine.

Oui, je crois bien qu'il s'agit ici de singer Jules César imposant son triomphe romain. Lorsque l'on sait que Jules César a été le dernier Consul de Rome avant qu'Octave, son héritier désigné, ne devienne Auguste, 1er Empereur romain, achevant définitivement la République moribonde, il y a de quoi nourrir de grandes craintes que l'histoire ne se répéte, fût-ce de manière plus sournoise.

Il est ainsi absolument risible d'assister aux manoeuvres de la Présidence destinées à leurrer le peuple quant à la survivance d'un Etat démocratique, d'un gouvernement responsable devant le Parlement. C'est dans ce cadre que s'inscrit le prochain remaniement ministériel: de la prestidigitation détournant l'attention du chaland sur le truc qui permet de faire le tour.

En attendant, il s'agit bien d'une monarchie élective.

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