J'avais initialement l'idée de commettre un billet sur la
surprotection des salariés et les effets pervers d'une telle situation mais actualité oblige, je ne peux rester muet sur le rapport remis par la Commission
Darrois dont vous pourrez trouver copie
ici.
Kézako cette Commission Darrois?Un lien vaut parfois mieux que quelques lignes, je vous invite à vous rendre sur
le site Internet de la Commission Darrois grâcieusement hébergé par le Ministère de la Justice.
La Commission
Darrois, dont le nom revient à son Président, a été réunie par
cet avocat d'affaires renommé Jean-Michel Darrois que
d'aucuns qualifient "
d'avocat le plus puissant de France" (diantre, rien que ça !) dans le cadre de la
mission qui lui a été confiée par le Président de la République
himself.
Sa mission consiste notamment selon les termes de la lettre de
Nicolas Sarkozy à formuler toutes les propositions visant à :
- créer en France une grande profession du droit et préciser les formes que cette profession pourrait prendre, en conciliant l’indépendance nécessaire à l’exercice des droits de la défense avec les exigences propres à la réalisation de missions d’intérêt général ;
- plus généralement, promouvoir une réforme profonde des structures d’exercice des professionnels du droit destinées tout à la fois à favoriser la concurrence et leur compétitivité interne et internationale et à améliorer la qualité des services rendus au profit de tous les usagers du droit ;
- proposer l’instauration des modalités de régulation et de gouvernance de cette nouvelle profession et/ou des professions existantes en vue de favoriser la confiance du public français et étranger dans notre système juridique ;
- faire des propositions de réforme du système d’aide juridictionnelle afin, non seulement d’en pérenniser l’existence, mais aussi de favoriser le développement de l’accès au droit et à la justice tout en permettant la maîtrise de son coût.
En tout premier lieu, il y a lieu de s'interroger sur la pertinence de confier la réflexion sur l'ensemble des professions du droit à un avocat d'affaires, lorsque l'on sait que notre
HyperPrésident lui-même est
avocat d'affaires de profession. Est-ce une raison de suspecter une analyse biaisée par un sentiment corporatiste? En (bon) juriste que je suis, je réserverai mon jugement en me fondant sur les faits.
La composition de la Commission elle-même a de quoi surprendre: si l'enseignement,
l'avocature, la magistrature et la fonction
d'Etat sont dignement représentés, d'autres le sont certainement moins: un seul représentant les juristes d'entreprise, et aucun pour des professions aussi essentielles
qu'importantes telles que Notaires, et Huissiers de Justice. Toutes ces professions prodiguent pourtant au quotidien des conseils juridiques.
Cette Commission a donc remis un rapport comme il le lui a été demandé.
Keskidi ce rapport?Mon bon ami, résumons la situation comme elle est, comment espérer qu'une Commission dont la mission est de réfléchir à l'amélioration de
l'avocature réfléchisse avec distance et objectivité à la situation du marché du droit en France?
Les deux intérêts sont pourtant divergents.
On ne peut pas leur jeter l'opprobre de ce point de vue, si ce n'est que l'on pourrait légitimement attendre d'éminents juristes qu'ils remettent en question le postulat de départ, affirmé par
Nicolas Sarkozy.
Du Juriste d'Entreprise...
En l'occurrence, je me ferais aujourd'hui le porte-voix d'une profession dont on ne parle jamais (et pour cause, elle est très faiblement représentée) et dont je fais partie: le juriste d'entreprise.
Faisons d'abord un bref point sur ce qu'est un juriste d'entreprise, profession très peu connue du grand public qui la plupart du temps nous assimilera aux avocat d'affaires.
Mes parents eux-mêmes ont bien mis 5 ans avant de savoir que j'étais juriste et non avocat.
On ne peut les reprocher d'ignorer l'existence d'une profession qui outre le nombre relativement faible de professionnels (on ne compte
qu'environ 8000 juristes d'entreprises en France selon les dires de
l'AFJE) n'est pas réglementée, et n'a donc pas d'institution officielle pour nous représenter. On ne peut décemment compter que sur les syndicats de salariés qui nous assimilent la plupart du temps au
patronat en raison de la nature de notre mission : protéger les intérêts de l'entreprise.
La situation particulière en France est que contrairement à la plupart des pays occidentaux, le juriste d'entreprise n'a qu'une existence par défaut. Pas de titre, pas de reconnaissance officielle, des difficultés pour bénéficier - en pratique - de son droit à devenir avocat au terme d'une pratique professionnelle de 8 ans (que l'on appelle la "passerelle"), etc.
Il faut savoir que la situation pour un jeune diplômé en droit est loin d'être enviable à l'issue d'un
Master 2 (Bac +5) qu'il fût de qualité ou non.
La tendance (lourde) qui s'est initiée depuis quelques années est l'exigence par les employeurs d'un cumul de diplômes et de formation, tous plus aberrants les uns que les autres, et ceci pour le seul exercice du conseil juridique en entreprise.
Armez-vous d'une
MBA, d'un diplôme juridique étranger (de préférence anglo-saxon), d'une expérience professionnelle de 3 ans, du Certificat
d'Aptitude à la Profession
d'Avocat (le CAPA), maîtrisez l'usage de trois langues parfaitement et vous pourrez prétendre postuler à un poste de juriste junior dans un grand service juridique, cantonné à faire du secrétariat de société pour un fabuleux salaire de 26k€ par an.
...vers l'Avocat d'EntrepriseVoilà qu'aujourd'hui, la Commission
Darrois recommande la création de "l'avocat d'entreprise" permettant à tout avocat, d'être soumis aux règles de la profession et à la protection correspondante (déontologie, secret...) tout en interdisant de plaider au nom de son employeur.
Désormais, outre la sélection ahurissante déjà imposée par la pratique, il faudra être titulaire du CAPA pour être juriste en entreprise. Oui, ai-je bien dit le CAPA, diplôme qui sanctionne une formation destinée... à
l'avocature.
Nul mot n'est dit sur la pertinence et l'apport pour l'entreprise comme pour les juristes en place d'une telle réforme. De toutes façons, si la réforme est adoptée en l'état, ceux-ci n'auront que 8 ans pour se conformer à cette obligation.
Le rapport se contente de renvoyer aux conditions "fixées par la jurisprudence" quant à la possibilité pour le juriste d'entreprise de devenir "avocat d'entreprise".
Beaucoup de question sont laissées en suspens alors qu'elles sont loin d'être anodines:
En quoi cet apport est-il indispensable ou à défaut, ne serait-ce
qu'utile, à la profession de juriste d'entreprise?
Que
va-t-on donc faire de ces juristes d'entreprise qui n'entreraient pas dans les conditions appréciées
discrétionnairement par l'Ordre des Avocats ?
Que
va-t-on faire de ces étudiants qui échouent à l'examen d'entrée à l'école d'avocat à l'issue de 5 ans d'étude?
Que faire si comme il est mentionné, l'employeur refuse pour les juristes en place d'accorder le changement de statut vers celui d'avocat d'entreprise?
L'intérêt pour la profession d'avocat est évident: il s'inscrit dans un manoeuvre généralisée d'extension du périmètre de la profession, lui réservant un sort très favorable:
Les avocats deviendront aussi Conseil en Propriété Intellectuelle, restreindront le champ de l'activité juridique de leurs concurrents (experts-comptables, agents immobiliers, conseils en RH,...) établiront des actes sinon authentiques du moins équivalents, et remplaceront les juristes d'entreprise... L'intérêt pour l'usager du droit et pour les autres professions existantes?
Il est tout sauf évident, mon bon ami. Mais cela, vous ne l'entendrez guère car sans représentation officielle, les médias ne se pencheront pas sur ce problème qui pourrait en laisser plus d'un sur le carreau.
Je vois déjà des esprits chagrins conclure qu'il est paradoxal qu'une profession censée protéger les intérêts d'autrui ne sache pas défendre ses propres intérêts.
Répondons-leur qu'il est une chose de se défendre individuellement et une autre que de faire du
lobbying.