vendredi 27 juin 2008

Laissez-moi vous conter une histoire

1h30 le matin. Une sonnerie retentit foudroyant mon cœur qui se met à battre la chamade.

Un appel à ce moment de la nuit, c'est nécessairement grave.

Je bondis hors de mon lit où une angoisse lancinante m'avait étreint depuis le coucher, m'empêchant de trouver le sommeil.

Je dévale les marches de l'escalier et saisis le téléphone:

" Qu'y a-t-il?
- J'ai bien peur que ça y est.
- Bon, pas de panique, je pars immédiatement."

Je jette sans réfléchir quelques affaires en vrac dans la valise.
Je verrouille et vérifie hâtivement portes et fenêtres de la maison.

Je prends la voiture.
Merde, je suis à sec. Je ne connais pas de stations services à guichet automatique dans les parages.

Je me lance tout de même dans mon itinéraire, priant Dieu de m'éviter la panne sèche avant le prochain pit stop.

Prière entendue.

Je roule à tombeau ouvert poussant mon vieux véhicule dans ses retranchements mais je déchiffre mal la route de nuit, le pare-brise est étrangement opaque.
Je n'arrive pas à le nettoyer correctement.

En outre, le GPS estime mon arrivée au car-ferry de Douvres à 7h10.

7h10? C'est bien trop tard !

J'accélère défiant les innombrables speed cameras croisées sur la route.

La tension relâchée l'espace d'un instant, je réalise que je me suis emmêlé les pinceaux.

Je reprogramme le GPS malhabilement. Arrivée estimée à 5h30.

Je ne suis pas plus rassuré. Je n'ai pas de billets.

Arrivé à Douvres à 5h10, le prochain départ est prévu à 5h40 sur la P&O.

Malgré les informations extrêmement claires affichées un peu partout au port, l'agent de l'enregistrement me renvoie vers un sombre bureau au-delà des barrières.
" Ce serait une bonne idée." affirma-t-il.

Je m'exécute non sans renfrognement.
Garé approximativement, je surgis au guichet.

" Bonjour ! Je voudrais acheter un billet !
- Vous venez d'où Monsieur?
- Du guichet d'enregistrement.
- De quel guichet?
- Je ne sais plus...un de ceux-là !
- C'était un guichet P&O?
- Oui, bien sûr. L'agent m'a dit de venir ici.
- Pourquoi vous a-t-il dit cela?
- Je n'en sais rien. Il a dit que c'était une bonne idée.
- C'est étrange... Bon, le billet coûte 104 pounds, l'embarquement est immédiat.
- Parfait."

Cintre accroché au rétroviseur en guise de billet, je me précipite à l'allée qui vient de m'être allouée.

L'embarquement est effectivement immédiat mais les véhicules grimpent à bord bien trop lentement.

Nous démarrons notre traversée avec 10 minutes de retard.

Je ne vais pas arriver à temps.
Je suis survolté, je ne puis ne serait-ce qu'envisager de me détendre une seconde.

Nous arrivons à Calais à 8h, heure française. C'est bien trop tard.

Les autoroutes françaises sont limitées à 130. J'en profite pour rouler pied au plancher.
Ma voiture ne sait plus dépasser le 140. J'essaye de ne pas y penser.

Calais, Boulogne, Berck, Amiens... les villes ne défilent pas assez vite.

Et le soleil qui est levé depuis si longtemps.
Je n'y serai décidément pas à temps !

Un appel:
" Tu en es où?
- Mon GPS me dit que je serai là dans 1h40.
- Dépêche-toi, j'ai bien peur que ce soit imminent."

Ces mots me terrorisent. Je suis électrique et je le sais.

Il faut que j'y sois, c'est trop important.

J'arrive désormais en terres connues, mais l'impatience se fait plus intense. Je sais la route qui me reste à parcourir.

"S'il y a un bouchon, je prends la bande d'arrêt d'urgence. Rien ne doit entraver ma route."

Il faut que j'y sois.

J'arrive enfin à destination mais on me refuse l'entrée.

"Il faut vous garer à l'extérieur monsieur!
- Quoi? Vous, vous moquez de moi ?
- Non, monsieur, il n'y a plus de places."

Les rues alentour ont toutes été prises d'assaut par des véhicules. Je dois chercher une place.
Un comble, me dis-je.

Je parviens à me garer. Une tête connue m'invite à la suivre.

" C'est par là. Je ne peux pas y entrer. Vas-y, toi. J'attends ici."
- D'accord."

J'enfile une blouse de protection, les surchaussures.

Je suis en eaux, la course, la fatigue, le stress me font suer comme jamais.

J'entre dans la salle.

" Ah vous êtes là ! Elle en est à 6 cm monsieur, on vient de lui poser la péridurale."

Je l'embrasse, nous sommes tous deux soulagés que je sois enfin arrivé.

40 minutes plus tard, son col était ouvert de 9 cm.

3h après. Tu faisais ton apparition.

Nous t'avons accueillie ta mère et moi.

Bienvenue ma chérie. Nous t'attendions depuis si longtemps.

4 commentaires:

  1. Nemo,
    pour avoir vécu ces instants magiques (quelque peu moins épiques ceci dit) je peux d'ores et déjà te dire toute l'émotion qui t'emplira au fil des jours et le bonheur qui te submergera et compensera grandement les angoisses suscitées.
    Félicitations à vous trois et profitez mutuellement les uns des autres.
    PS: Émouvant d'avoir la version paternelle de cette merveilleuse histoire qu'est la venue sur notre planète

    RépondreSupprimer
  2. Le mélange des émotions ne nous a pas permis de réaliser pleinement l'événement le premier jour.

    En revanche, je peux te dire que dès le lendemain, la maman et moi parlions de cette étrange sensation d'amour "viscéral" que nous n'avions pas réellement ressenti jusqu'alors.

    Nous nous découvrons nous-mêmes en même temps que nous découvrons notre fille.

    C'est une sensation fabuleuse.

    RépondreSupprimer
  3. je suis très heureux pour vous Philippe, c'est un moment merveilleux que vous avez réussi à vivre avec votre épouse...Félicitations n'hésitez pas à nous envoyer une photo....
    Quel courage d'avoir fait tout ce chemin et aussi pour ce sacrifice de la distance..et de la séparation...

    J'espère que vous pourrez en profiter.

    RépondreSupprimer
  4. Bonjour nemo,

    ton histoire je l'ai vécue il y a seulement quelques mois, du côté des mamans, il n'y a rien de plus extraordianire que de vivre ça en compagnie de l'homme qu'on aime, alors je suis heureuse pour tes princesses que tu sois arrivé à temps. Et je suis heureuse de te dire que tu t'apprêtes à vivre les instants les plus magiques d'une vie, ceux où elle te reconnaît et te regarde avec tant d'amour et de tendresse, ceux où elle te dit d'un simple regard que tu es son papa chéri et qu'elle t'aimera toute sa vie.

    Félicitations à vous, longue et belle vie à la princesse.

    RépondreSupprimer

Merci de vous identifier ou au moins de signer votre commentaire d'un pseudonyme.

 
blog d'expatrié